Au début du 2e millénaire avant notre ère, d’après les tablettes trouvées à Kanès, les marchands assyriens commerçaient dans la péninsule anatolienne. Il est aujourd’hui admis que le cheminement des marchandises s’effectuait par voie terrestre, principalement à l’aide d’ânes ou de mulets. Des taxes étaient perçues lors de la traversée des principales villes.
La plupart des courriers stipulent des transports à l’aide d’ânes ou de mulets, mais pas tous … un transport alternatif transparaît
Exemple 1 : Il y avait un marché pour les ânes à Sinahuttum et un marché pour la laine à Tamniya : une lettre d’un commerçant arrivé à Sinahuttum mentionne qu’il garde ses ânes pour vendre son reste de laine à Tamniya. Ce qui signifie que d’habitude, une fois arrivé à Sinahuttum on vend ses ânes parce la cité est réputée comme utilisant un autre moyen de transport.
Exemple 2 : Un autre courrier stipule qu’après avoir transporté de la laine de Sinahuttum vers Durhumit, celle-ci a été chargée sur des mulets à Durhumit, à raison de deux ballots par âne. Ce qui sous-entend qu’un autre moyen de transport a été utilisé de Sinahuttum à Durhumit.
Exemple 3 : Le cas de Purushattum est le plus éclairant car un autre mode de convoyage y est clairement mentionné. Dans « A Historical Geography of Anatolia in the Old Assyrian Colony Period » et « Kültepe Tabletleri » Gojko Barjamovic et Morgens Trolle Larsen ont traduit plusieurs textes évoquant cette ville. Un moyen de transport, «eriqqum» en Akkadien, qui a été traduit par wagon par ces principaux auteurs, est étroitement associé à Burushattum. Notamment dans les tablettes identifiées kt94/k1733, kt94/k1444, kt94/k819 et kt94/k1461. Le dernier texte a été rédigé dans un contexte tout à fait documenté : La famille de Salim-Assur avait promis d’envoyer du fer à Usinalam, une ville associée à Purushattum. Ce qu’elle n’a pas fait. Et donc Ennam-Assur, l’auteur de cette lettre destinée à Salim-Assur dit : « Il y a trois mois, ton étain et tes textiles ont été vendus contre du cuivre, et des ânes ont transporté rapidement ce cuivre à Saladuwar. Je suis inquiet pour ma propre tête et pour ta marchandise. Je n’entrerai pas à Burushaddum. J’ai équipé des wagons et je me suis tourné vers un commerçant affilié de confiance, il a prêté ses wagons à Aluwa (transporteur connu par ailleurs) il y a 10 jours, et il vendra ce cuivre contre de l’argent, pas cher ou cher, et je vous enverrai l’argent gagné par Aluwa et les autres voyageurs ».
Ce moyen de transport devait utiliser la mer. TC2,18 qui évoque un problème d’accès à Purushattum pour les wagons, demande à ce qu’on lui envoie des ânes pour transporter la marchandise à Purushattum. Aussi Purushattum était également accessible par transport terrestre.
Wahsusana et Timelkiya sont deux autres villes accessibles par «eriqqum».
Et puis, surtout, lorsque le transport est effectué par « eriqqum » il n’est jamais mentionné d’animaux de trait (âne, mulet, bœuf, cheval …) alors que les courriers abondent en précisions sur les ânes ou mulets lorsqu’il s’agit de transport terrestre.
Les contrats naruqqum
Dans « Correspondance des marchands de Kanish », Cécile Michel a édité la tablette 237D. Il s’agit de la recherche d’un conducteur d’un « contrat-naruqqum » : Les deux fils de Laqepum, Assur-malik et Assur-Samsi y sont évoqués comme deux candidats potentiels : « Les fils de Laqepum, les deux ainés, sont capables de conduire un contrat-naruqqum ! Ne les lâche pas ! Ici, Assur-Samsi m’avait promis de conduire le contrat-naruqqum et ainsi le sac-naruqqum devait entrer dans notre firme ».
Cécile Michel observe que très peu de textes évoquant les contrats naruqqum ont été retrouvés dans les ruines de Kültépé : ils proviennent de différents musées qui les avaient déjà avant l’exhumation des nombreuses tablettes de Kanès (Voir ici le cas de tablettes du musée d’Adana). Les contrats naruqqum étaient surtout mis au point par les bailleurs de fonds d’Assur. Elle les décrit comme étant fondé sur le principe d’une société en commandite. Et le sac-naruqqum serait une besace en cuir.
Ici il est considéré que le sac-naruqqum était plutôt un assemblage de peaux de bêtes permettant l’étanchéité par l’extérieur d’une embarcation. De cette époque, d’étranges barques circulaires en bois ont été retrouvées dans des sites de Chypre, notamment à Vounous Bellapais, Il n’y a qu’avec une telle enveloppe extérieure que ces bateaux primitifs étaient en mesure de naviguer en mer, tirés par une galère.
https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/705485?journalCode=basor
La peau tannée devait assurer l’étanchéité. Elle constituait la couche extérieure du bateau. Un probable engin de levage (avec contre-poids) devait probablement aider dans sa mise en place.
Il faut remarquer que le moyen de transport accueillait aussi bien les marchandises que les humains et les animaux, notamment des ânes pour convoyer les lots une fois ceux-ci débarqués. Probablement qu’une même galère pouvait tracter plusieurs embarcations de ce type, formant ainsi un train avec des wagons (ereqatim).
Cinq cent ans plus tard cette façon de convoyer devait encore exister puisque dans la lettre EA14 d’El Amarna parmi les objets que le roi d’Égypte envoya au roi de Mésopotamie se trouve « un bateau de cèdre plaqué d’or avec tout son attirail et 6 barques que l’on remorque ».
https://www.persee.fr/doc/cchyp_0761-8271_2011_num_41_1_1108
Afin de mieux étirer la peau, qui assurait l’étanchéité, deux mats reliés entre-eux ont été ajoutés. Ce qui permettait ainsi l’apport d’une sorte de voile primitive s’actionnant comme un rideau de fenêtre. Une partie de la peau retombait. Le chic de l’époque consistait à garder au sommet de chaque mat une tête des animaux dont étaient issus les peaux.
En photos annexes se trouvent deux représentations sur des vases de la première moitié du deuxième millénaire.
Le passage étroit, ou la « Sukinnu route », était le détroit des Dardanelles ?
Le réseau commercial s’est étendu au fil du temps, avec une probable concurrence entre marchands qui a abouti à ouvrir des comptoirs de plus en plus éloignés. Après plusieurs générations, et après un accord entre Hahhum et Timelkiya, un chemin alternatif a permis à certains d’échapper à quelques taxes, car il ne passait pas par Kanès. Aussi, les autorités assyriennes ont, dans un premier temps, interdit aux marchands d’emprunter ce parcours appelé « passage étroit », « route dangereuse », « Sukannu ou Sukinnu route ». Puis, sans doute devant le fait accompli, elles ont tenté de les taxer. Ainsi, un autre courrier annonce la mise en place d’une taxe spéciale lors du chargement sur les ânes de marchandises ayant empruntées la « Sukinnu route », notamment à Durhumit : Le moyen de transport utilisé sur la « route dangereuse » n’était pas terrestre : c’était l’utilisation de bateaux.
Ce que confirme le texte kt94/K808 où il est question du passage étroit, la « Sukinnu route », et une livraison à Purushaddum. Puzur-Assur questionne Ali-Ahum, dont on ne sait pas exactement où il se trouve, concernant la disponibilité de la Sukinnu route et finit par dire « Si tu observes que le Passage Etroit est fermé, alors envoie la marchandise avec la caravane elle-même ».
Ce parcours alternatif a fait l’objet d’études par la plupart des spécialistes des textes de Kanès, avec des synthèses enrichissantes. A partir de Hahhum, le « passage étroit » reliait entre-elles les villes de Timelkiya, vers le sud, à Zalpa, Sinahuttum et Durhumit au nord, en passant par Tahruwa et Kuburnat.
Dans ce blog, Tahruwa est le toponyme qui désigne la ville de Troie. Les fouilleurs de ce site ont, depuis longtemps, constaté que la ville avait prospéré grâce au commerce maritime du bronze.
http://www.madeleine-et-pascal.fr/spip.php?article74
Il est probable que le toponyme « Sukinnu » ou « Sukannu » se retrouve, quelques siècles plus tard, dans la désignation Sigeion, dans celui de « Seha » des textes hittites (« la rivière Seha » qui devait être le détroit des Dardanelles), dans les roches Cyanées des Argonautiques, dans le pays de Siyannu d’Ougarit et dans la première partie du nom turc : « Çanakkale ».
Voici les hypothèses de localisation des principales villes de la « Sukinnu Route » du temps des marchands assyriens.
D’autres justifications se trouvent dans les articles associés à chaque ville. Elles s’affichent en cliquant sur chaque nom : Kanès, Hanaknak, Hattusa, Mamma, Hahhum, Walma, Saladuwar, Wahsusana,, Ulama, Kussara, Purushattum, Tismurna, Tahruwa, Kuburnat, Sinahuttum, Zalpa, Zimishuna et Durhumit.
Dans les archives de Hattusa, les annales de Mursili I sont fondamentales pour le positionnement des toponymes clés que sont : Paramanzana et Ulama. Ces écrits rendent quasi certain une localisation de Purushanda / Purushattum vers l’extrême ouest de la péninsule anatolienne.
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