En 1910, grâce à une tablette en bois découverte dans la nécropole thébaine par lord Canarvon, il était déjà connu qu’en l’an 3 de son règne, Kamose avait réuni ses conseillers. A son époque, la situation de l’Égypte a pu être résumée ainsi : Il y a un roi à Avaris((1) et un autre au pays de Kouch, de sorte qu’il était entre un Aamou (traduit le plus souvent par « un asiatique ») et un Néhésite (traduit le plus souvent par « Kouchite »). L’Aamou (l’Asiatique) s’était avancé au-delà de Khmounou (Hermopolis) » et Kamose ne pouvait pas aller à Hout-Ptah (Memphis). Les habitants étaient écrasés d’impôts. Aussi le roi voulait-il, avec l’aide d’Amon, délivrer son pays. Les conseillers n’approuvaient pas ses projets belliqueux car eux pouvaient toujours franchir la frontière pour toucher leurs revenus dans leurs domaines du Nord. Kamose n’a pas suivi leurs conseils : il a ouvert les hostilités, s’est emparé de Nefrusy en ramenant du butin.
En 1933, M. Chevrier a trouvé à Karnak une stèle en deux morceaux qui reformule les informations de la tablette en bois. Elle a permis de connaître l’adversaire de Kamosé à Avaris(1) : Aousirré, le fils du Soleil Apepi. Et une traduction plus précise a pu se faire :
L’an 3 de l’Horus qui apparaît sur son trône, celui des Deux Maîtresses, celui qui entretien les monuments, Horus d’or, qui pacifie les Deux Terres, roi de Haute et Basse- Égypte, Ouadjkheperrê, fils de Ré, Kamosis, doué de vie, aimé d’Amon-Ré, seigneur des trônes des Deux Terres, semblable à Ré pour l’éternité.
Le roi puissant qui est dans Ouase (Thèbes), Kamosis, apporte vie et santé. C’est Ré lui-même qui l’a désigné en tant que roi et qui le guide dans la victoire.
Sa Majesté parla ainsi dans son palais lors du Conseil des grands de sa suite : « Ma puissance va se faire connaître. Un prince est dans H’t-w’rt(1)(Hawara), un autre est au pays de Kouch, et je siège entre un Aamou (Asiatique) et un Néhésite (Kouchite), chacun ayant une part de l’Égypte et partage le pays avec moi. Personne ne peut se rendre jusqu’à Hout-Ptah (Memphis) par le canal de l’Égypte. Voyez ! Il est à Khmounou (Hermopolis) et aucun homme ne peut plus se reposer, dépouillé, à cause des charges que leur imposent les Asiatiques. Mais moi, je vais le combattre, je vais briser son corps. Mon désir est de délivrer l’Égypte et frapper les Asiatiques. »
Alors les Grands de son assemblée parlèrent ainsi : « Vois, les Asiatiques se sont avancés jusqu’à Kis (Cusae), ils ont tiré leur langue tous ensemble, mais nous sommes tranquilles, ayant la charge de notre Égypte. Iabou (Eléphantine) est puissante, et le cœur du pays est à nous jusqu’à Kis (Cusae). C’est pour nous que les plus fertiles de leurs champs sont labourés ; notre bétail paît dans les marais de papyrus ; l’épeautre nourri nos porcs, et nos troupeaux sont en sécurité […]. Il possède le pays des Asiatiques et nous possédons l’Égypte. Mais quiconque viendra et agira contre nous, alors nous serons contre lui. »
Cela fut déplaisant au cœur de sa Majesté : « Quant à vos conseils […] Je compte me battre contre les Asiatiques, et la prospérité alors reviendra. […] Le pays entier m’acclamera, moi, le prince qui sera victorieux dans Ouase (Thèbes), Kamosis, protecteur de l’Égypte. »
« Alors, j’ai navigué vers le Nord, en homme fort, pour détruire les Asiatiques, conformément à l’ordre d’Amon, le dieu aux justes conseils. Devant moi se trouvait mon armée vaillante, semblable à la chaleur d’une flamme. Les archers du corps des Madjaï sont en haut de leurs murs (Teudjoi, l’Ankyropolis des Grecs) afin d’envoyer des flèches sur les Setiyou (Asiatiques) et les repousser de leurs lieux de résidence. L’Orient et L’Occident apportent l’huile-adj et l’armée est approvisionnée en nourriture, en tous lieux. J’envoie les puissants archers du corps des Medjaiou, tandis que je m’arrête un moment pour repousser Téti, fils de Pépi, dans l’intérieur de Nefrusy(2). Je ne permets pas qu’il s’échappe. Je repousse aussi les Asiatiques qui venaient vers l’Égypte. Alors je passai la nuit dans mon bateau, le cœur heureux.
Lorsque le jour se leva, je fus sur lui, comme un faucon, et quand vint le temps du déjeuner du matin, je le renversai, je détruisis sa muraille et massacrai ses hommes. Je fis en sorte que son épouse descendit jusqu’aux rives du fleuve. Les soldats de mon armée étaient comme des lions fondant sur les proies, tandis qu’ils emmenaient les serviteurs, le bétail, le lait, les huiles-adj et le miel, se partageant les biens, le cœur joyeux. Le district de Nefrusy(2) se rendit. […] »
Enfin, une autre stèle du roi Kamosé a été trouvée en 1954, à Karnak. Il s’agit d’une grande dalle de calcaire, haute de 2 m. 26, large de 1 m. 10 dont une face était décorée par une inscription hiéroglyphique de 38 lignes horizontales. L’égyptologue égyptien Labib Habachi et le Dr Hammad publièrent les premières traductions, qui constituent une suite de la première stèle. Le texte débute par un discours de Kamosé au souverain de H’t-w’rt (Hawara) :
« Une mauvaise rumeur s’est répandue dans ta ville. Tu es découragé à côté de tes soldats. Tu as la bouche serrée parce que je me suis fait un grand nom. Toi, tu es souverain, tu peux préparer le billot sur lequel tu tomberas. »
« J’ai vu ton vilain dos quand mes soldats t’ont poursuivi. Les femmes(3) de H’t-w’rt (Hawara) ne conçoivent plus depuis qu’elles ont entendu les hurlements de mes soldats ».
« J’ai abordé Per-Djed-ken, le cœur joyeux, car j’avais fait en sorte qu’Apopi connaisse un moment de faiblesse, lui, le prince du Retenou, aux bras débiles, en imaginant en son cœur des actes de vaillance qu’il ne peut entreprendre. J’arrivai à Inyt-net-khent. Je naviguais jusqu’à la ville pour interroger les habitants. Je rassemblai ensuite les bateaux, l’un derrière l’autre, la proue de l’un sur la poupe du précédent. Mes plus braves soldats volaient sur la rivière comme le faucon. Mon navire d’or était devant eux et, tel le faucon, je les précédais. »
« Je fis que le vaillant bateau de protection s’avance jusqu’à la limite du désert. Les bateaux de la flotte, derrière, ressemblaient à des vautours labourant les marais de H’t-w’rt (Hawara). J’apercevais ses femmes(3) sur les terrasses qui, par les créneaux, scrutaient les rives. Elles ne bougeaient plus pour m’entendre, mais elles fixaient, le nez contre leur mur, comme de petits des hiboux qui sont dans leur trou, en disant : « C’est une attaque ». »
« Me voici. Je suis venu. J’ai réussi. La chance est avec moi. Mon action est parfaite. Je jure par Amon le vaillant. Je ne jure pas par toi. Je ne permettrai plus que tu foules ces pays. Vil Aamou (Asiatique), me voici buvant le vin de ton vignoble, de celui qu’ont pressé pour moi les Aamou (Asiatiques) qui sont maintenant mes prisonniers. Je dévaste la résidence, coupe les arbres. J’ai jeté tes femmes dans des barques, je capture tes attelages ! »
« Je ne laissai pas même une planche aux 300 navires de sapin vert, pleins d’or, de lapis-lazuli, d’argent, de turquoise, de haches de cuivre innombrables, sans parler de l’huile, de la résine, de la graisse, du miel, du bois de ituren, de caroubier, de sepni, de tous les bois précieux, de tous les bons produits de Retenou. J’ai tout ravi, je n’ai rien laissé. »
« H’t-w’rt (Hawara) est en proie à la désolation, l’Aamou (Asiatique) est ruiné. Tu n’as pas de chance, vil Aamou (Asiatique) qui disais : « Je suis un seigneur sans second depuis Khnoumou (Hermopolis) jusqu’à Per-Hathor, sur les eaux des Rekhty ». Et ceux qui apportaient tribut à H’t-w’rt (Hawara) entre ses deux rivières, je les ai laissés dans la désolation, car il n’y a plus d’homme. J’ai dévasté leurs villes, incendié leurs demeures, réduites à un tas de cendre rougie pour l’éternité, à cause du mal qu’ils avaient fait à l’Egypte quand elles se sont mises au service des Aamou (Asiatiques), s’étant révolté contre l’Egypte leur maîtresse ».
« J’ai capturé son messager qui remontait vers Kouch avec une lettre, au-dessus de l’oasis. La lettre que j’ai trouvée sur lui, écrite de la main du grand de H’t-w’rt (Hawara) disait : « Aousirrê, le fils de Ré, Apopi, salue mon fils le souverain de Kouch. Pourquoi te lèves-tu comme souverain si tu ne me fais rien savoir ? N’as-tu pas vu ce que l’Egypte a fait contre moi ? Le Souverain qui y réside, Kamose, que la vie lui soit donnée, m’a attaqué sur mon territoire. Et pourtant je ne l’avais pas provoqué ; exactement comme il a fait envers toi. Il a choisi les deux pays pour les détruire, le mien et le tien. Il les a dévastés. Viens, descends le courant, ne tarde pas. Comme il est ici avec moi, il n’y aura personne en Egypte pour se lever contre toi. Je ne lui laisserai pas le moyen de te joindre. Et nous nous partagerons les villes de l’Egypte et le pays de Khent-en-nefer sera dans la joie » ».
Voici ce qu’a dit Ouadjekheperrê, le puissant, doué de vie, qui maîtrise les évènements : « J’ai placé les déserts et la proue des terres (le pays de Kouch) sous mon autorité, et les rivières de même. La défaite, je ne l’ai pas trouvée, car je n’ai jamais négligé mon armée. Le visage de l’homme du Nord (Apopi) ne s’est pas détourné, mais il avait déjà peur de moi quand j’ai remonté le fleuve, avant de le combattre. Avant même que je ne l’ai atteint, il senti le souffle enflammé et il envoya un messager jusqu’au pays de Kouch, recherchant une protection. Mais je m’en suis emparé sur le chemin et ne lui permis pas d’arriver. Je fis même en sorte qu’il soit repris (par les Asiatiques) et renvoyé, le déposant à l’Est, près de Tp-ihw (Atfih, Aphroditopolis). »
« Alors ma puissance pénétra dans son cœur et dévasta ses chairs lorsque son messager lui a répété les choses que j’avais faites dans le district du chacal (Cynopolis) qui était alors encore compris dans ses territoires ».
« J’expédiai ensuite une troupe qui était dans le désert pour ravager Djesdjes (oasis de Bahria) et j’allai à Saka (Saka) pour empêcher les rebelles d’agir derrière moi. »
« Puis j’allais vers le Sud, en vaillance et en joie, en anéantissant tous les rebelles qui étaient sur mon chemin. »
« Oh ! Quelle heureuse navigation pour le Prince, vie, santé, force, précédé de ses soldats. II n’en manquait pas un. Personne ne réclamait les siens. Ils ne pleuraient pas. Je séjournai à Siout (Assiout) pendant le temps de l’inondation. Tous les visages étaient radieux. Le pays était à la chasse et à la pêche. Les rives regorgeaient. Ouase (Thèbes) était en fête. Les femmes mariées venaient pour me voir. Toute femme embrassait son mari. Personne ne pleurait.
Je brûlai l’encens pour Amon à l’intérieur du Saint des Saint, à l’endroit où il est dit habituellement : « Reçois ces belles et bonnes choses ! » car son bras avait donné la puissance à son fils, le Roi durable, Ouadjkheperré, fils de Ré, Kamosis le puissant, doué de vie, stabilité et force, lui dont le cœur est joyeux avec son Ka, tel Ré pour les temps infinis et le temps éternel ».
Sa Majesté commanda (cette stèle) au noble, prince, préposé aux affaires secrètes du palais royal, supérieur du pays entier, trésorier du roi de Basse Égypte, conducteur des Deux Terres, premier des courtisans et chef des trésoriers, Ouserneshi : « Fais en sorte que tout ce qu’a vaillamment accompli Ma Majesté soit rapporté sur une stèle qui sera placée à Karnak, dans Ouase (Thèbes), pour les temps éternels et le temps infini. » Il dit en présence de sa Majesté : « J’agirai conformément à tout ce qui m’est commandé », et il reçut les louanges du roi.
Remarques :
(1) : Dans ce blog, compte-tenu de la localisation de tous les lieux mentionnés – aujourd’hui identifiées avec une bonne vraisemblance, aussi bien sur la stèle de la Victoire de Piyé que dans les textes de Kamosis – il est considéré que ce lieu est Hawara à l’entrée du Fayoum. En effet, ici, Héliopolis et Memphis ne sont pas mentionnés comme ayant été repris. Et, de plus, il est même indiqué que la ville la plus proche du territoire Hyksos restée sous l’autorité de Kamosis est Atfih, sur la rive orientale du Nil. Cette partie orientale de la vallée du Nil ne semble, d’ailleurs, n’avoir jamais été Hyksos, contrairement à toute la partie occidentale, tout le long du canal aujourd’hui appelé Bahr-el-Yousouf. Cette géographie donne du sens aux annales de Kamosis, et aussi à celles d’Ahmosis et de ses contemporains.
(2) : Nefrusy se trouve aussi mentionnée dans le texte de la stèle de la Victoire de Piyé comme étant sous la dépendance de « Hw.t-wr.t ». De ce fait, sa localisation, maintenant bien avérée, conforte à la fois la géographie des interventions de Piyé et celle des interventions de Kamosis.
(3) : La présence de femmes est à rapprocher de la localisation probable d’un harem à Mi-wer, très proche du lieu Hawara. Cette évocation apparaît, de même, dans le texte de la stèle de la Victoire de Piyé.
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