Voici des textes de Kultépé – essentiellement des échanges commerciaux, il y a environ 4000 ans – qui évoquent un mode de transport appelé « Sikkum ».
Dans « Correspondance des marchands de Kanish » Cécile Michel a traduit « ATHE 66 » : « Dis à Iddin-abum et Kulumaya : Ainsi parle Puzur-Assur. Je vous ai écrit ceci : « Louez des porteurs pour mon étain afin qu’ils l’apportent à Ninassa ». Or, j’apprends que l’on ne laisse pas passer les voyageurs pour Wahsaniya ! Si ma tablette vous parvient concernant l’homme de Wahsusana et l’homme de Kanis, à propos du fait qu’ils ont conclu un traité, alors donner l’étain aux transporteurs dans un Sikkum afin qu’ils me l’apportent. Décidez sur place de leur salaire, et que Samas-tappai vienne avec l’étain ! Veillez à ce que mes serviteurs fassent payer l’argent de la princesse et du rabi serim. Dis à Kulumaya : Sarra-Sin a vendu 12 vêtements blancs à raison de 2 ½ talents de cuivre chacun, et il a laissé le cuivre à Salim-Assur fils d’Assur-Samsi. Là-dessus son frère, Dadaya, m’a envoyé 3 ½ mines d’argent. Alors j’ai saisi Dadaya dans Wahsusana devant Ahu-waqar, [...] »
Visiblement, ce Puzur-Assur est dans Wahsusana lorsqu’il rédige cette tablette. C’est pour cette raison que nous l’avons sélectionnée et avons mené une enquête. Il faut savoir que, dans les traductions des textes retrouvés à Kultépé, au centre de l’Anatolie, le mot « Sikkum » figure dans la liste du vocabulaire non traduit : on ne connaît pas ce mode de transport, même si quelques auteurs plus téméraires – comme nous – ont avancé des théories.
On constate, dans ce texte, que, pour ce transport Sikkum, il faut embaucher des transporteurs et un salaire leur est versé. Mais cette façon de faire semble exceptionnelle, la négociation évoquée entre le maître de Wahsusana et le maître de Kanès a probablement été consécutif à l’événement décrit dans la page « Le Sikkatum » : Les serviteurs autochtones n’étaient plus disponibles. C’est pour cette raison que nous pensons que la tablette « Kt 92/k 313 » traduite dans « Kültepe Tabletleri XI-a » par Hakan Erol est la réponse à la demande de Puzur-Assur : « Dites à Su-Istar ! De la part d’Ahu-waqar, Su-Hubur, Ili-wedaku et Isar-beli : Conformément à vos instructions, nous avons embauché des gens de Kanis ici pour les 10 talents de cuivre de qualité et ils vous transportent le cuivre en wagon. Donnez-leur 12 1/3 d’argent là-bas. Que les représentants de Puzur-Assur leurs donnent 6 1/4 shequels d’argent. Que les représentants de Su-Hubur leurs paient 2 1/2 shequels d’argent. Au total, payez 1/3 de mine et 1 shequel d’argent aux transporteurs de Kanis. Un wagon chargé de 3 sacs de cuivre vierge, scellés de votre sceau, est prêt pour vous. Ici Puzur-Assur dépensa 5 mines de cuivre pour leur nourriture. Nous avons payé 5 2/3 mines pour le wagon. »
Les transporteurs, c’est à dire ici les rameurs, sont ici, exceptionnellement, des assyriens – ou des descendants de couples assyrien / autochtone – depuis peut-être trois générations) appelés ici « gens de Kanis», et il n’y a pas, dans ce dernier texte, d’identification du point de départ et de point d’arrivée.
Des transports Sikkum sont évoqués dans deux autres textes (RA 58,131 et TC3,10) (83 84 de correspondances) de Cécile Michel :
- « Ainsi parle Puzur-Assur, pour Ili-wedaku : […] Tu es mon frère, veille à envoyer 20 talents de cuivre de bonne qualité. L’homme de Ninassa ne peut organiser de transport-Sikkum, alors apporte-le-moi sur des ânes, ou encore que des serviteurs en transportent chacun un ou deux talents. Le cuivre est cher ici ! Tu es mon frère, veille à te dégager de toute obligation et effectue le voyage. Ecris-moi afin que l’on nous fasse payer l’argent que nous devons. Pour ce qui est du mien, fais tout ce que tu peux pour mon argent ! »
- « Dis à Puzur-Assur, ainsi parle Ili-wedaku : « Tu m’as écrit ainsi à propos du cuivre : « Que l’homme de Ninassa organise 20 talents de cuivre en Sikkum jusqu’à Washaniya » L’homme de Ninassa a des ennuis et ce n’est pas le bon moment pour organiser un transport Sikkum. Le créancier-tamkarum a en créance 18 talents 45 mines de cuivre raffiné en morceaux sur Ah-salim, fils de Su-Anum ; il a reçu l’ordre de le payer dans Wahsusana. Je me suis adressé à tes représentants, et j’ai reçu leur document en disant : « Il ne doit pas encourir de frais, ni ne doit apportez de cuivre par ici. Qu’il le verse à Puzur-Assur dans Washaniya. » Là-bas, que tes instructions aillent chez Ah-salim afin qu’il te verse les 18 talents 45 mines de cuivre. Ce n’est pas le bon moment pour qu’un Sikkum soit organisé, alors ici, je veux rendre le cuivre au représentant du créancier-tamkarum. »
Le dénommé Puzur-Assur est probablement le même individu que celui du premier texte de cette page. Dans ces deux derniers courriers il aussi question de transport Sikkum, de Ninassa et de Washaniya. On apprend en plus que l’organisateur réel de ces transports Sikkum est l’homme de Ninassa. Et Cécile Michel précise dans son ouvrage que, dans ces textes, il faut comprendre que l’expression « homme de » désigne le « Maître ou roi local ». Ce qui signifie que l’organisateur de ces traversées – dans ce blog nous sommes convaincus qu’il s’agit de navigations en mer – n’est pas assyrien. Cela confirme que la navigation en mer méditerranéenne était un savoir-faire qui existait avant le paléo-assyrien. Cette fois, apparemment, Puzur-Assur est dans « Washaniya » et les deux textes font apparaître que, depuis les lieux où Ili-wedaku et Ah-salim se trouvent, Washaniya est accessible par la voie terrestre. En revanche, en ce qui concerne Ninassa, ils montrent une localisation dans l’île de Chypre, comme Wahsusana.
Dans « Kültepe Tabletleri II », Emin Bilgic et Sabahattim Bayram, ont traduit le texte « Kt n/k 605 » qui décrit plus précisément le moyen de transport de ce cuivre en Sikkum : « Pour Ikuppia, Belum-bani, Dada et Amur-ili ; Puzur-Istar dit à Belum-bani : Ici, nous avons effacé la dette et j’ai stocké votre 1 talent et 8 mines de bon cuivre. Je suis allé ici et j’ai postulé pour ce dont j’avais besoin, mais tu t’es levé et tu es parti. Alors tu es allé voir Idi-abum et tu as dit : Puzur-Istar a payé le minerai brut d’Assur-malik. Idi-abum m’a écrit, ils tiendront ma jupe-sikkum (1), ils me tiendront responsable. Dites à mes représentants : vous êtes frères ! Là, capturez Belum-bani et faites-lui peser 1 talent et 6 mines de bon cuivre nettoyé. S’il ne veut pas payer le cuivre, garde-moi son certificat avec intérêts. S’il se plaint ici, faites-lui savoir que le cuivre enregistré sur sa tablette sera pesé en Durhumit. S’il vous menace, tenez sa jupe-sikkum (1) et ne le tolérez pas. L’homme m’a accusé auprès d’Idi-abum. ».
Conclusion :
Au paléo-assyrien, le transport Sikkum concernait surtout les gros volumes de cuivre et était en bonne partie un transport maritime à partir de l’île de Chypre impliquant la ville portuaire de Ninassa et, possiblement, un port du Levant en face, qui aurait donné son nom à ce moyen de commercer : « Sagu » (2).
Dans « The Old Assyrian copper trade in Anatolia » Jan Gerrit Dercksen a étudié le commerce du cuivre au paléo-assyrien. Il a évoqué ce cuivre-sikkum qui, probablement, était aussi associé à une qualité de minerai du fait d’une activité métallurgique à Ninassa même, en mentionnant le texte « TC 3,10 » (repris de CAD E) « Le souverain de Ninassa devrait fondre vingt talents de cuivre au Sikkum ». L’auteur rapporte quelques textes supplémentaires qui évoquent le « Cuivre-Sikkum ».
Remarques :
(1) Dans « The Old Assyrian copper trade in Anatolia » Jan Gerrit Dercksen mentionne de la paille et du tissu d’emballage dans le transport Sikkum. La jupe-sikkum pouvait être une sorte de grande housse bourrée de paille sur laquelle le cuivre était disposé.
(2) il y a leu de s’étonner que, pratiquement aucun texte de Kanès n’évoque en même temps Ninassa et Timelkiya pourtant juste en face : il faut peut-être y voir une navigation sans beaucoup de précision quant à la destination. Ces transporteurs maritimes devaient naviguer à vue. Et puis ce savoir-faire était en dehors du périmètre des marchands assyriens : les autochtones devaient fuir les taxes assyriennes.
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