Les Hittites à Babylone

Les différentes études, surtout issues de spécialistes de la Mésopotamie, considèrent que les Hittites ont effectué un raid éclair qui n’a pas eu de conséquences, sauf l’installation d’une nouvelle dynastie : les rois Kassites.

Voici les textes qui certifient que cet événement a eu lieu vers la fin de la première moitié du 2e millénaire.
Issues de Hattusa, ce sont principalement deux traductions qui évoquent l’expédition des Hittites contre Babylone :

  • L’édit de Télipinu : « Mursili fut roi à Hattusa [...] Il alla à la cité de Halab, détruisit Halab et transporta les déportés de Halab et ses biens à Hattusa. Puis, plus tard, il alla à Babylone. Il détruisit Babylone et combattit les Hourrites. Les déportés et les biens de Babylone il les transporta à Hattusa » ;
  • Plus tard, Mursili II a rappelé l’exploit de Mursili I, son ancêtre, qui avait détruit Halab et Babylone et ramené au Hatti l’or, l’argent et les dieux. En fait, il faut comprendre par « dieux », des statues les représentants.

De Mésopotamie, c’est une chronique babylonienne tardive qui stipule : « Au temps de Samsu-ditana l’homme de Hatti vint en Akkad ».
Or, après Hammurabi de Babylone, à ce jour, quatre autres rois de cette dynastie sont connus avant Samsu-Ditana :

  • Samsu-Iluna (38 ans de règne, de 1750 à 1712) ;
  • Abi-esuh (28 ans : de 1711 à 1684) ;
  • Ammi-ditana (37 ans : de 1682 à 1647) ;
  • Ammi-saduqa (21 ans : de 1646 à 1626).

Ce sont ces éléments qui ont permis de dater notre événement, en considérant que l’invasion hittite a mis fin à la dynastie.

Les archéologues allemands qui ont fouillé Bogazköy, la capitale des Hittites, ont retrouvé de multiples emplacements où devaient être disposées toutes les représentations des dieux capturées en Mésopotamie.
Mais cette courte période de temps semble s’inscrire dans toute une série de faits préalables qui ont rendus possible cet événement. Dans cette page, sont successivement exposés :

  • Les déplacements humains d’ouest vers l’est avant l’invasion hittite, en s’appuyant sur les textes paléo-assyriens, les archives de Mari et celles des Hittites ;
  • Des courriers de Kanès qui montrent que les rois de Kussara - Kussar, la ville des ancêtres des premiers rois hittites – ont envahi la Cilicie vers les derniers temps du comptoir central assyrien. Ce qui ouvre une autre hypothèse sur l’origine des Kassites ;
  • Les textes qui décrivent le contexte mésopotamien avant ou pendant le raid Hittites ;
  • La découverte de tablettes à Khirbet ed Diniyeh (ancienne Haradum) et au Tell Ashara (ancienne Terqa).

Les déplacements humains d’ouest vers l’est avant l’invasion hittite, notamment lors de la prise de pouvoir de Zimri-Lim à Mari
Dans l’article « Le retour de Zimri-Lim à Mari », il est montré que Zimri-Lim s’est appuyé sur la tribu des Bensimalites pour reprendre le trône de son père, ou de son grand-père, à Mari. Les Bensimalites étaient des guerriers originaires de la région de Simal, vers l’ouest. Ils se sont majoritairement installés vers la basse vallée du Habur.

Les rois de Kussar en Cilicie
Le roi de Mamma, Anum-Hirbi est connu par un courrier qu’il a adressé au roi de Kanès, Warsama. Il apparaît également dans les archives de Mari comme roi de Zalwar et aussi de Hassu. Sa durée de règne est estimée par Jared L. Miller, auteur de « Anum-Hirbi and His Kingdom », de 1795 à 1765 avant notre ère. L’auteur doute du maintien de Mamma dans son royaume vers la fin de sa vie, du fait de ses nouvelles qualifications.

Les archives de Kanès montrent effectivement que Mamma, Luhuzatiya, puis Saladuwar sont passé sous la coupe d’un roi de Kussar – sans que ce dernier ne se soit encore emparé de Kanès, en bénéficiant d’une incursion de « ceux d’Usinalam » (voir la page « Les navigateurs de l’époque paléo-assyrienne ») – comme le montre différents textes :

  • Une lettre adressée au receveur de Saladuwar fait copie à ceux de Kussara, est expédiée de concert par les karums de Kanès et Salatuwar. Elle évoque le fait que des marchands ont réglé la taxe à Saladuwar et qu’il faut reverser celle-ci (à Kanès).
  • Du karum de Mamma au karum de Kussara : « Chers pères et seigneurs, une tablette est arrivée de la Ville (Assur), elle indique que vous ne devez pas lever la « saddu’utum taxe » » ;
  • « Kay 1830 » adressée à la Ville et au karum de Kanès par le comptoir de Kussara : « Ici, nous avons entendu que deux Assyriens ont été tués dans le pays de Luhuzatiya. Nous sommes montés au palais, qui a envoyé deux autochtones […] ils auraient été tués de l’autre côté du pays de Luhuzatiya, vers les montagnes élevées ».

Ces trois courriers montrent que le comptoir de Kussara a pris le pouvoir sur ceux de Saladuwar, de Mamma et Luhuzatiya.

Quant à Wahsusana, cette ville a été soumise par les armes, puisqu’un texte des archives de Perwa (Cahit Günbatti : « Kültepe Tabletleri X »), bras droit d’Anitta, montre le paiement d’un tribut : « De Tarhuala, Husiuman, Luhrahsu, Kalulu, Kalaya de la ville de Wahsusana en ruine, Perwa de Luhitim recevra ½ mine d’argent, 7 sacs d’orges et 3 sacs de blé, « 20 makris » et « 20 asis » qui sont des parties de « wagons » et de charrues. Ils porteront eux-mêmes le grain à Kanès. Le grain sera mesuré avec les moyens de Peruwa. L’argent est lié à ceux qui sont financièrement solides et fiables ».
Un deuxième texte, Kt. d/k 28a, est similaire, mais montre que Perwa n’habite plus Luhutim, mais a probablement suivi Anitta à Alisar Höyük.

Voilà pourquoi, dans ce blog, il est considéré que vers la fin du karum de Kanès, un roi de Kussara a pris le contrôle de la région qui s’est appelée Cilicie 2000 ans plus tard.
Dans ce blog, Kussara est située à « Kusura Höyük ». Jacques Freu et Michel Mazoyer dans « Les débuts du Nouvel Empire Hittite », positionnent le pays de « Kassiya » vers cette ville d’Anatolie.

Les textes qui décrivent le contexte mésopotamien avant ou pendant le raid des Hittites
Karel Van Lerberghe, Gabrielle Voest, Kathleen Abraham et Hendrik Hameeuw ont édité, en deux volumes (CUSAS 8 et CUSAS 29), un ensemble cohérent de 295 textes traduits de tablettes mésopotamiennes de provenance inconnue, datées autour de 1700 avant notre ère. Elles évoquent un même personnage principal, Enlil-mansum, ayant une fonction de trésorier au temple d’Enlil à Nippur, mais qui, à un certain moment, est allé assumer ses fonctions au temple d’Enlil de Dur-Abiesuh du confluent avec le canal Hammurabi-nuhus-nisi.
Dur-Abiesuh, créée par le souverain Abi-Eshuh, fils de Samsu-iluna, y apparaît comme étant une forteresse très proche de Nippur et située à l’endroit où un nouveau canal, Hammurabi-nuhush-nishi, se jette dans l’Euphrate.
L’intérêt de ces textes réside dans le fait qu’ils sont légèrement postérieurs, de quelques dizaines d’années à Hammurabi. Ils ont été rédigés lors d’une époque qui couvre la fin du règne de Abi-Eshuh jusqu’au règne de Samsu-Ditana, dernier roi de cette première dynastie de Babylone, qui est donc réputé comme étant celui qui a été destitué par les Hittites.
Il y est décrit une grande instabilité, avec des craintes d’attaques lors des déplacements, notamment de Dur-Abiesuh vers Nippur, pourtant non loin. Des fuites d’habitants de Nippur sont documentées par des textes qui évoquent l’arrivée d’ennemis à chevaux qui s’en prennent surtout au temple Ekur. Il s’agit probablement de l’explication du déplacement du culte Ekur d’Enlil, de Nippur à Dur-Abiesuh.
L’anarchie locale est confirmée par la construction de plusieurs forteresses autour de ce canal « Hammurabi-nuhush-nishi » dont l’objectif, d’après les auteurs, était de détourner les eaux du Tigre vers l’Euphrate, conformément à un projet débuté sous Hammurabi. Il s’agissait de favoriser les villes d’Uruk, de Larsa, d’Our et d’Eridu au détriment de celles des bords de la mer : Adab, Zabalam et Girsu. La construction d’un barrage permettant l’alimentation du canal est probablement la cause du chaos qui s’en est suivi, avec les désertifications des cités en aval soit par asséchement, soit par l’insécurité.
D’après les auteurs, il apparaît que les successeurs de Hammurabi ont fait appel à de nombreux mercenaires, dont beaucoup sont « Kassites » et quelques-uns « Gutis ». Par exemple, le texte CUNES 51-03-156, daté de l’époque d’Abiesuh, évoque la distribution d’orge à un groupe de soldats Kassites de Zulpah (très probablement Zalpah). Ce qui donne un premier critère de localisation des « Kassites ».
Les historiens considèrent maintenant que la domination Kassite sur cette région s’est établie progressivement.
La tablette CUNES 51-02-138, datée de la onzième année d’Ammiditana est un rapport officiel de citoyens de Nippur en fuite, qui rapportent l’arrivée de 500 cavaliers ennemis qui s’en sont pris au temple de Nippur : « Les murs du temple ont été percés. Ils ont dérobé […] 16 jours plus tard, 300 cavaliers sont entrés dans le temple à nouveau ».
Ces ennemis étaient-ils des Hittites ?

  • Si oui, ils apparaissent alors effectivement comme des pilleurs, mais avant la date aujourd’hui admise. Et les textes de Dur-Abiesuh sont alors contemporains de cet événement.
  • Si la réponse est non – et que les Hittites ont effectivement mené leur raid sous le roi Samsu-Ditana, 60 ans plus tard donc – alors ils sont intervenus en protecteurs des statues de dieux malmenés par le désordre et la désertification des grandes villes de la Mésopotamie.

Une troisième hypothèse peut être émise : A Babylone, les Hittites n’ont pas réalisé un raid éclair, mais il y aurait eu une transition entre la fin de la période paléo-assyrienne et le début de l’Empire Hittite où l’épicentre du pouvoir anatolien s’est déplacé progressivement vers l’Orient, vers la région de Halab, alors que cette dernière venait de s’installer dans une partie de la Mésopotamie.
A l’appui de cette hypothèse il y a la présence, en plus de soldats kassites, de nombreux soldats originaires de Halab. Et le texte « CUNES 51-02-101 » de la douzième année d’Ammiditana, stipule : « 2 moutons aux mains d’Etelpi-Marduk dans le cadre de l’inspection du camp des soldats élamites par 5 conducteurs de chars de Halab accompagnés d’une troupe de conscrits ». Et là les conducteurs de chars de Halab apparaissent comme étant les supérieurs militaires. Ce qui signifie que ceux de Halab avaient alors le pouvoir, avant que les Hittites ne s’empare du Yamhad.

Les nouvelles tablettes de Terqa et de Haradum
Ces deux anciennes villes sont situées le long de l’Euphrate : elles sont sur le chemin de notre expédition hittite.

En 2011, Olivier Rouault a publié « Terqa: Les textes des saisons 5 à 9 ». Trois groupes de tablettes y sont éditées, dont un, composé de 27 textes, qui s’avère contemporain de la fin de la première dynastie de Babylone, période dite du « royaume de Hana ». En 1984, le même auteur avait publié « Les archives de Puzurum ». Dans les deux ouvrages, il apparaît un roi kassite appelé Kastiliasu. Rouault y démontre que ce roi de Terqa a régné vers 1700 avant notre ère, c’est-à-dire qu’il était contemporain d’Abi-esuh de Babylone. Dans ce blog, il est considéré comme étant en même temps un roi de Halab, originaire de Kussara du pays de Kassiya ou des Kassites, c’est-à-dire un proto-hittite.

Dans « Haradum II », Francis Joannès a publié les textes de la période paléo-babylonienne qui ont été trouvées à Khirbet ed Diniyeh.
Les textes sont datés des rois babyloniens Samsu-iluna, Abi-esuh et Ammi-ditana. Puis les auteurs ont constaté un trou d’environ 50 ans et enfin quelques tablettes sont datées des années 16 et 17 d’Ammi-saduqa.
Les dates des tablettes montrent incontestablement une dépendance babylonienne pour la plupart des tablettes. Les auteurs justifient l’absence de documents comme la preuve que les occupants ont nettoyé les lieux avant de partir. Cela peut aussi être interprété comme étant la trace non pas à d’une invasion, mais plutôt de deux, avec, là aussi, 50 à 60 ans d’écarts.

Conclusion
Voici un extrait du premier écrit d’un roi Kassite, celui d’Agumkakrine, qui a régné à Babylone après le raid des Hittites :
« Je suis le roi des pays de Kasshu et des Akkadiens. Roi du grand pays de Babylone, qui a installé la nombreuse population d’Eshnunna. Le roi de Padan et d’Alman. Le roi du Gutium, une nation insensée, un roi qui lui fait obéir les quatre régions, et qui a toujours été le favori des grands dieux.
Quand les grands dieux avec leur noble commandement ont ordonné le retour de Marduk, le seigneur d’Esagila et d’Ezida, j’ai incité Marduk à tourner son visage vers Babylone. J’ai écouté et obéi, j’ai incité Marduk et Sarpanit à se rendre à Babylone en se mettant de leurs côtés. J’ai consulté Shamash en examinant le foie d’un agneau. Je l’envoyai au lointain pays de Hani. Il a pris les mains de Marduk et Sarpanit, qui favorisent mon gouvernement et les ont ramenés à l’Esagila et Babylone ».
Il faut noter qu’Agumkakrine se dit roi du pays de Kasshu. Dans les archives de Hattusa, ce pays avait une réalité géographique dans le périmètre du futur Nouvel Empire Hittite : Ce sont surtout les soldats de cette région qui se sont emparé de la Mésopotamie, peut-être, effectivement, de façon progressive, en étant d’abord des défenseurs de l’ordre et de la loi babylonienne.

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