Le retour de Zimri-Lim à Mari

Ici est évoquée une période de temps d’environ 5 ans au milieu du 18e siècle avant notre ère. Elle débute au décès de Samsi-Addu, qui s’est taillé un immense empire en Haute Mésopotamie et se termine par la prise de pouvoir de Zimri-Lim, dont le père (ou grand-père) Iakhdun-Lim, avait été, avant Samsi-Addu, un précédent souverain de Mari. Ces quelques années ont l’avantage d’être de mieux en mieux cernées du fait de l’abondance de documentations :

Les données
Hammurabi de Babylone a désigné Zimri-Lim par « fils de Sim’al » lorsque ce dernier a pris le pouvoir à Mari. C’est effectivement en s’appuyant sur la tribu des Bensimalites qu’il a regagné puis géré les Bords de l’Euphrate. Ce qui a été difficilement accepté par les Hanéens Benjaminites, lors des premières années de son règne.
Et donc Zimri-Lim était en exil vers l’Ouest après le renversement de son ascendant par Samsi-Addu à Mari. Et c’est probablement depuis les monts Amanus qu’il a préparé son retour puisque c’est dans cette région que se trouvait le pays de Sim’al.

Yarim-Lim, roi du Yamhad s’est vanté d’être à l’origine de ce succès : « C’est moi qui ai fait remonter Zimri-Lim sur son trône » (A.1153). Mais il n’a pas été le seul. A.3024 montre que le Zalmaqum, Burundu, Nahur et Talhayum sont les premières villes à avoir soutenu sa ré-investiture. A.2417 indique que le Zalmaqum et l’Idamaras lui avaient fait serment.
Or, la date de cet événement coïncide avec d’une part l’arrivée au pouvoir à Mamma d’un prince de nom Anum-hirbi et d’autre part un conflit entre Harsamna et Zalpah rapporté par Cahit Günbatti dans “The letter sent to Hurmeli king of Harsamna and the king of Kanis”. Clairement, il y est reproché une approche partisane de Samsi-Addu en faveur de Zalpah : il aurait donné des soldats à cette ville qui a mis Kanès à sac. Ces régions bénéficiaient du passage des marchands assyriens allant de Kanès à Assur qui, du fait du conflit, se trouvaient bloqués.
La prise du Zalmaqum a constitué la première étape (XIII 146 de Mari) du retour. Il s’agit probablement là d’une vaste opération militaire concertée avec, donc, plusieurs objectifs :

  • La punition de Zalpah pour son agression sur Kanès.
  • L’extension du pays de Anum-hirbi vers l’Est : ce dernier a déplacé sa capitale successivement de Mamma à Zalwar puis à Hassu.
  • La prise de pouvoir de Zimri-Lim à Mari.

Il faut noter qu’un autre prince de Haute-Mésopotamie, Bunu-Estar, se trouvait, vers la même période, en exil à Zalwar. C’est ce que montre A.1215 des archives de Mari : « Bunu-Estar m’a fait astucieusement dicter cette tablette à mon égard et me l’a envoyée. Voici ce qu’il y avait écrit : « Parle à Yassi-Dagan : voici ce que dit ton frère : « Précédemment lorsque je résidais à Zalwar, alors Samsi-Addu avait écrit au roi de Zalwar de m’amener. Par astuce, le roi de Zalwar a donné à ma place un homme sans importance et qu’on avait apprêté, disant « Amène-le ». Alors Aminum a amené cet homme comme s’il s’agissait de moi-même et Samsi-Addu a mis à mort cet homme. Moi-même, le roi de Zalwar m’a sauvé. Or je suis venu de Zalwar et je me trouve à Kurda. Maintenant est-ce joli ce qu’a fait Zimri-Lim ? Quelqu’un qui n’y avait pas de part est entré sur le trône paternel et moi je suis un errant ! Fait pression sur le mer’um et les grands dignitaires qu’il me fassent revenir sur le trône de mon père ! » Voilà le message que Bunu-Estar a imaginé et m’a fait porter. » »
En même temps ce courrier jette un trouble à la fois sur les origines de Zimri-Lim et sur celles mêmes de Bunu-Estar : étaient-ils vraiment les hommes qu’ils prétendaient être ?

Une préparation habile
Zimri-Lim a bénéficié de la nouveauté de son époque : le courrier rédigé sur des tablettes. Cet outil lui a permis de lier des correspondances avec les principaux rois des cités autour de Mari plusieurs années avant son retour. Avant lui, Samsi-Addu avait montré tout l’intérêt de ce nouvel outil (voir ci-dessus la lettre adressée au roi de Zalwar et un autre exemple existe avec Kuwari de Susarra : Les échanges durant environ deux ans exhumés au Tell Shemsharah ont permis à Samsi-Addu de s’assurer au moins de la neutralité de ce voisin des lieux de sa future conquête).

Une demande d’alliance de Zimri-Lim avec le roi de Qattara a été retrouvée au Tell Al Rimah. D’autres ont été nouées avec Qarni-Lim (le roi d’Andarig) et avec Eshnunna, consécutivement à une offensive de ces derniers pays dans le Suhum et au cœur du pays de Mari.

Un long courrier […] de son général d’armée montre toutefois les limites de ces échanges diplomatiques : « On répand mainte calomnie à l’encontre de mon seigneur, disant : « Des tablettes de Zimri-Lim ne cessent d’aller chez Sallurum (chef d’armée d’Eshnunna), disant : « Approche-toi de moi avec ton seigneur ; sinon, je veux bien aller chez mon seigneur et me rencontrer avec lui ! C’est lui le Seigneur de leurs Seigneurs ! » ». De plus, ces tablettes vont sans cesse de chez Sallurum chez Nidnat-Sin, le général babylonien ».

Par ailleurs, de nouvelles études montrent qu’il y a eu un apport important de nouvelles populations Bensimalites dans le bas Habur lors du règne de Zimri-Lim.
Il a réussi à concrétiser des alliances autour de son pays d’exil :

  • Une sœur de Zimri-Lim, Liqtum, a épousé Adal-senni, le roi de Burundum, juste avant sa reconquête.
  • Une fille de Zimri-Lim, Naramtum, a épousé le roi d’Eluhut.
  • Une autre fille, Simatum, a épousé Haya-Sumu, le roi d’Ilan-sura, l’année de sa prise de pouvoir.

Un toponyme qui change la compréhension : « Luhaya »
« Luhaya » est l’orthographe qui a été choisie pour ce toponyme par les traducteurs des tablettes de Mari. Il a été retrouvé dans moins de dix textes. Dans ce blog, il est considéré comme étant une écriture abrégée de la ville de Luhuzatia située, d’après les annales de Salamanazar 1er, vers les environs du Haut Balikh, vers l’Euphrate.

A.2417 est un courrier envoyé par les anciens de Talhayum à Zimri-Lim : « Lors du serment devant les dieux du pays, ceux du Zalmaqum et ceux de l’Idamaras, notre Seigneur (Zimri-Lim) a tenu ces propos : « C’est ma ville ! La ville qui entreprendra des hostilités à son encontre sera mon ennemie ». Maintenant, notre seigneur doit envoyer le message suivant aux gens de Luhaya : « Vous saviez bien que Talhayum est ma ville ! Pourquoi donc alors qu’il y avait un pacte de non-agression, vous êtes-vous révoltés ? » »

Ici, Talhayum, qu’il faut situer à l’Ouest de l’Euphrate et du pays de Zalmaqum, non loin de Zalwar, est le théâtre d’une prise de pouvoir par Anum-hirbi, qui se montre, ici, comme étant un allié encombrant.

Dans « Letters to the King of Mari » Wolfgang Heimpel a traduit plusieurs autres courriers montrant ce toponyme :

  • 26 353 indique que des Luhayaites, en garnison près de Subat-Enlil, se sont débarrassés du commissaire de Bunu-Estar pour faire la paix avec Haya-Abum ;
  • 26 334 et 27 89 rapportent que plus tard Atamrum, le roi d’Andarig, est allé à Luhaya pour tenter de rassembler les rois de Luhaya avant de prendre Subat-Enlil.

Les derniers textes soulignent l’importance de ce royaume, qui comprenait plusieurs rois.
Dans les archives de Mari, donc, les gens de Luhaya apparaissent comme étant des alliés difficiles, ayant leurs propres objectifs : Subat-Enlil semble avoir été une cible, probablement pour protéger la route des marchands assyriens.

Mais le tout début de l’affaire apparaît dans un texte publié par J. Bottero. Il s’agit d’un fragment d’une lettre de d’Ibal-Addu, roi d’Aslakka, à Zimri-Lim : « Le jour où j’envoie cette mienne tablette à mon seigneur, je vais personnellement à Luhaya. Aux confins du Zalmaqum, les gens de Talhayum et les Hapiru ont pillé Luhaya ».
XIII 146 de Mari évoque aussi une opération de conquête menée par Talhayum sur la ville d’Ulayum du pays de Sumum (probable déformation de Sa Mamma). Or, dans les archives du Tell Leilan, le plus ancien traité trouvé a été conclu entre le pays de Sumum et le duo Qarni-Lim et Haya-Abum.
Il faut probablement dater ces derniers courriers d’avant la prise de pouvoir de Zimri-Lim. Ce dernier semble avoir ramené à Mari une partie de sa correspondance personnelle.

Un retour effectif néanmoins difficile
Ce retour effectif et les difficultés rencontrées par l’héritier sont mentionnés dans les tablettes du Tell Al Rimah. Trois courriers de Zimri-Lim ont été adressés directement à Hatnu-rapi, le roi de Qattara.
Le premier est une demande d’alliance de Zimri-Lim avec Hatnu-rapi, qui doit être scellée à Saggaratum ou Quatunan. Zimri-Lim y précise que ses troupes militaires ont encore beaucoup de distance à parcourir (Nous savons qu’il est resté environ une année à Tuttul).
Dans le deuxième, le nouveau roi se montre moins conciliant, il a probablement été rédigé dans les jours qui ont suivi son arrivée à Mari : « Je dois combattre l’armée d’Eshnunna. Je ne compte pas me retirer. Si je continu à t’écrire c’est que j’espère toujours un renforcement par tes troupes auxiliaires, à ce jour celles-ci ne sont pas arrivées. Avec ma propre armée je dois extraire la verrue que le maître d’Eshnunna a implantée à Supru, en plein cœur de mon district. Et je dois m’assurer, s’il le faut par un accord, qu’il ne revienne pas. Secondement j’ai entendu dire que tu assièges Qarni-Lim. […] »
Le troisième montre la solitude du nouveau roi de Mari qui a dû lutter seul : « Qarni-Lim a rédigé un rapport au maître d’Eshnunna disant que vous êtes alliés et que vous avez décidé de marcher contre Qarni-Lim. Il me dit : « Parce que j’ai fait alliance avec toi, tous les rois qui étaient à mes côtés m’ont fait défection, […] » »
Voilà les courriers envoyés directement par Zimri-Lim qui a cessé toute correspondance directe avec le roi de Qattara, mais qui a trouvé un intermédiaire ami avec Bunu-Istar. En effet, d’autres tablettes de cette même archive sont des courriers de Bunu-Istar à Hatnu-rapi, roi de Qattara :

  • « Sarraya (roi de Razama et/ou d’Eluhut) et les rois qui sont de ton côté, vous avez rassemblé 4000 hommes. Et moi j’ai 2000 hommes disponibles. En tout, 6000 bons hommes peuvent être réunis. Permet ainsi qu’ils viennent rapidement au secours de Zimri-Lim. Agissons pour sauver Zimri-Lim. »
  • « Tu as refusé l’accord que Zimri-Lim t’a proposé […] . Pourquoi considères-tu que l’accord tienne toujours ? […] Maintenant le maître d’Eshnunna s’est retiré. […] »

Conclusion
Du point de vue géographique, cet épisode de l’histoire de l’âge du bronze a l’avantage de faire apparaître d’une part des noms de villes de la Haute Mésopotamie – biens documentés compte-tenu du nombre d’archives retrouvées datées du début du 2e millénaire avant J-C – et d’autre part des toponymes à l’ouest de l’Euphrate qui est une région pauvre en tablette de cette époque. Seuls les abondants courriers de Kanès, au cœur de l’actuelle Turquie, permettent des rapprochements pour retrouver les villes situées entre l’Amanus et l’Euphrate.
A travers cet épisode on s’aperçoit que l’histoire à un sens qui ne peut être compris qu’avec une géographie correcte.

Cette page est appelée à être modifiée au fur et à mesure des découvertes qui peuvent encore être faites.

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