Klaas R. Veenhof, dans « Kultepe Tabletleri VIII », a édité les archives d’Elamma fils d’Iddin-Suen. Ce sont des textes paléo-assyriens retrouvés à Kültepe, l’ancienne Kanès, il y a bientôt 4 milles ans. Un petit sous-ensemble concerne Ennam-Suen fils d’Amur-Samas (1), dont l’auteur ne connaît pas les liens avec le propriétaire des archives.
D’après « Kt 92/k176 », ce marchand assyrien a été emprisonné à Washaniya, ce qui l’a empêché de commercer durant 8 ans : « Nous sommes entré chez Assur-samsi qui était sur le point de partir en voyage, Ennam-Suen a dit à Assur-samsi : « S’il te plait, avant de boire ensemble je veux te déclarer quelque chose, et ne te mets pas en colère : Quand ils m’ont arrêté à Washaniya, ma sœur t’a-t-elle envoyé vers moi avec 2 mines d’argent ? » Assur-samsi a répondu : « Bien sûr, elle m’a envoyé, mais je ne te les ai pas données ». Ennam-Suen a ensuite déclaré : « Aujourd’hui, ma sœur est revenue ici et elle a dit : « Tu m’as fait du tort ! Montre-moi l’argent et les intérêts échus depuis huit ans et donne-les-moi ! » » Assur-samsi a répondu : « Maintenant jettes-moi aux pieds d’Assur-imitti en disant : « S’il vous plaît, mes frères, voici de l’or, 15 shequels et 1 mine de cornaline, apaisez le palais du mieux que vous pouvez » » Assur-samsi dit aussi à Ennam-Suen : « Si le montant de l’argent dû a beaucoup augmenté, venez ici, laissez-moi saisir vos témoins et faites de moi ce que vous pensez être le mieux ! » Ennam-Suen répondit à Assur-samsi comme suit : « Le palais a une revendication d’argent substantielle sur moi (2) […] ».
Il se trouve que, dans les quelques tablettes de ce personnage éditées dans « Kûltepe Tabletleri VIII », les raisons d’un emprisonnement apparaissent multiples.
Ainsi, ce même Ennam-Suen a été mêlé à une traite d’être humain :
- « Kt 92/k 139 » : Pour Kukua, Ennam-Suen et Usur-sa-Assur, Su-Istar dit : « Gardez la servante sous contrôle et ne la laissez pas opérer à Uzinum et n’affectez pas les natifs d’Anatolie (3). Elle m’a écrit ici comme suit : « Envoyez quelqu’un pour récupérer le prix qui me revient ». Chers collègues, gardez la femme sous contrôle et trompez-la en lui disant : « On vous conduira chez votre seigneur. Rassemblez vos petits biens et tout l’argent que vous avez et vous irez ensuite chez votre seigneur avec la première caravane. » Et dès qu’elle rassemble ses affaires, privez-la de son vêtement et de sa coiffure et vendez-la à quelqu’un de Talhat. Ne la vendez pas à un Assyrien ou à un citoyen de Kanès. Débarrassez-vous d’elle et qu’elle ne revienne plus jamais dans le pays de Kanès. »
- « Kt 92/k 181 » : Su-Istar dit à Ennam-Suen : « Pourquoi m’as-tu écrit comme suit : « Votre servante a contracté une dette d’une demi-mine d’argent ». Elle n’est pas seulement méchante, mais elle contracte également une dette pour sa […] Je lui ai envoyé des lots d’argent s’élevant à 10 mines et 10 shequels ! Là-bas, tu ne la surveilles même pas ! Est-ce vraiment envers moi que tu es gentil ? Débarrassez-vous de la servante, vendez-la à un homme de Talhat (lien), ne la vendez pas à un Assyrien. »
Les textes ne disent pas si Ennam-Suen a réalisé les instructions de Su-Istar. Il est ici très probable qu’Ennam-Suen a reçu ces courriers en étant toujours résident de Washaniya – dans la même ville que la servante ou femme de Su-Istar – Car cette ville apparaît réputée pour être une place de commerce d’esclaves, comme le montre cet autre courrier « Kt 92/k116 » : « Iddi-Suen dit à Ennam-Suen : Hadiassu t’amène le garçon qui est barbier. Vends-le et collecte l’argent. Les trois étoffes-kutanu et celle qui est d’origine Arbanian que tu as retenues, donnes les à Hadiassu pour qu’il me les ramène. Tant que tu restes là, tu dois le tenir par l’ourlet. S’il ne vient pas […] »
Et en même temps, Washaniya est un lieu où les femmes sont actives dans le commerce, en voici deux exemples de « Kültepe Tabletleri VI » de Mogens Trolle Larsen :
- Dans « Kt 94/k 939 » qui est la note de frais de l’avocat Abuwa de l’affaire du fils de Sadaya, il est stipulé : « La femme de Dannaya possède 2 1/2 mines de cuivre à Washaniya », ce qui signifie : « La femme de Dannaya a encaissé 2 ½ mines de cuivre au titre d’un service donné à Abuwa ».
- Dans « Kt 94/k726 », Puzur-Assur dit à Ali-ahum : « […] Pourquoi est-ce que j’entends toujours que ma servante est toujours à Washaniya et que vous gardez le silence à ce sujet ? Je suis traité comme un non-frère et un non-gentleman. Mon cher frère, écris à propos de ma servante afin qu’ils me la conduisent avant la récolte. » Dans « Kt 94/k 808 », après avoir évoqué différentes affaires commerciales il redit : « Mon cher frère, j’ai entendu dire qu’ils n’ont pas encore envoyé ma servante. Assure-toi qu’ils l’amènent. » Et finalement dans « Kt 94/k1293 » il écrit un courrier très ambigu à Enna-Suen (possiblement le même personnage : Ennam-Suen) et Ali-ahum : « 3 shequels d’argent – pour 2 1/2 shequels d’argent j’ai loué les 2/3 d’un homme salarié et j’ai laissé la servante à Washaniya, et je leur ai écrit mais ils ne l’ont pas ramenée ici. Mais vous, vous êtes restés silencieux et vous avez fait de moi un non-gentleman. Quand j’ai entendu cela, j’étais mécontent. Le jour même où tu recevras ma lettre, dépense cinq shequels d’argent, ce que tu pourras, pour qu’ils fassent revenir la servante ici. Je ne peux pas payer l’argent. Par mes amis ! Je ne l’ai pas vendue ici. Pour Enna-Suen : « […] Mon cher frère. Qu’il ramène la servante ici. Ils ne devraient pas parler de […] mon esclave ». »
Cependant, l’activité de traite d’être humain d’Ennam-Suen, courante à cette époque, n’est probablement pas la cause de son arrestation. Il est plus probable que soit cette autre affaire, rapportée par « Kt 92/k 94 » : « Pour Assur-nada, Suen-ilsu et Ennam-Suen, de la part de MAS Sarrum-ken ; Quand nous nous sommes rencontrés à Washaniya, tu as dit : « Ce n’est pas le palais (2) qui a emporté les textiles, c’est vous qui les avez emportés ! » Quand ils les ont enlevés, je n’étais pas présent, le palais (2) lui-même a saisi quatre commerçants affiliés et ils ont fouillé ma maison et ont enlevé vos textiles. C’est pourquoi j’ai écrit une tablette pour vous et je vous ai nommés mes témoins. Je suis prêt à conduire mes témoins jusqu’à la Porte du dieu afin que vous puissiez acquérir une tablette avec leurs sceaux, ceux de ces quatre hommes. S’il te plaît, mon frère, sommes-nous des hommes pour nous battre ? Si tu souhaites entamer une procédure judiciaire pour me faire prêter serment, écris tes doléances pour tes représentants, afin qu’ils me fassent jurer. Remettez la tablette portant mon sceau que vous avez en votre possession à mes représentants. Si vous ne le souhaitez pas, faites-moi transférer ici, afin que je vienne prêter serment. Vous avez pris l’initiative, alors discutons-en là-bas. »
Le traducteur du texte indique que « MAS Sarrum-ken » peut être le roi assyrien Sargon, à l’époque où il était prince et en voyage à Washaniya. La lettre est adressée à 3 personnes et, donc, on ne connaît pas précisément l’accusateur. Mais on perçoit qu’il prend un risque important en s’en prenant à un prince qui, lui-même, accuse le palais de Washaniya.
Remarques :
(1) Amur-Samas, le père d’Ennam-Suen, est probablement le fils de Harimtum. « harimtum » signifie « prostituée ». Et c’est peut-être aussi, en même temps, le fils de Misar-rabi – dont le début du nom rappel la désignation d’un égyptien par les Assyriens (Misri) – Il s’agit d’un indice sérieux d’une dépendance avec l’empire du sud.
(2) La sœur d’Ennam-Suen semble être une dame de haut rang liée au palais vu la fin de ce texte « Kt 92/k176 ». Cela donne plus de sens à l’intervention du prince d’Assyrie, et au pouvoir de cette dame sur son frère.
(3) En fait, la phrase akkadienne est plus compliquée que cela. Littéralement ce serait plutôt « ne la laissez pas opérer en Uzinim et elle ne doit pas déranger les « Nuae » ni ceux d’« Anisa (de Kanès) ». Il est dommage que les traducteurs n’aient pas conservé ces nuances : les « Nuae » ne sont mentionnés que vers certaines villes des tablettes de Kanès, et sont probablement ceux qui formeront par la suite le pays de Mitanni.
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