La recherche de traces de la guerre de Troie dans les nombreuses tablettes retrouvées à Bogazköy, l’ancienne capitale hittite, en Turquie, a fait couler beaucoup d’encres. Alors que Troie n’y est quasiment pas mentionnée, Wilusiya ou Wilusa apparaît dans des textes tardifs, datés des dernières années de l’Empire hittite.
Mais le plus surprenant est la fin de la liste des 22 cités de l’Assuwa conquises par un roi Tuthaliya : Wilusiya et Taruisa y sont les deux derniers noms. Le rapprochement avec Ilios (ou Ilion) et Troie est naturel. Mais y avait-t-il donc deux villes distinctes vers l’ouest de l’Anatolie ? Alors que, dans l’Iliade et l’Odyssée, Homère semble désigner la cité de Priam comme étant indifféremment Troie ou Ilios. De même, Hérodote, dans son œuvre utilise alternativement Troie ou Ilion.
Dans la version de Leconte de Lisle de l’Iliade et l’Odyssée, du 19e siècle, Troie est mentionnée 86 fois alors qu’Ilios l’est 168 fois. Des qualificatifs communs aux deux apparaissent : Aussi bien Troie qu’Ilios ont des murailles, celles d’Ilios sont fortes alors que celles de Troie sont le plus souvent qualifiées de grandes.
Cependant, Troie y est la seule mentionnée comme étant grande, la « Grande Troie » apparaît 9 fois, alors qu’Ilios est la seule parfois associée à « haute », ainsi par 11 fois se trouve « la haute Ilios ». Et puis la ville sacrée d’Ilios est le lieu où habitent Priam et le peuple de Priam qui tient la lance.
Cette analyse permet d’affirmer qu’Ilios est le nom de la ville haute, c’est à dire de l’acropole alors que Troie désigne la ville basse ou la totalité de l’agglomération, à l’image de Thèbes de Béotie qui avait une citadelle appelée « Cadmée ». Cependant, Hérodote nous informe d’une autre désignation particulière pour la citadelle de Troie à son époque : Pergame. Toutefois il s’agit du mot commun qui désignait, en Grec, toutes les citadelles.
Dans « Homère et l’Anatolie », Michel Mazoyer, David Bouvier et Trévor Bryce soulignent l’importance des Lyciens dans l’œuvre d’Homère. Et dans la couche Troie VIIb1 c’est un sceau louvite qui a été extrait, rédigé en hiéroglyphes louvites, amenant les auteurs à considérer que les habitants de Wilusa s’exprimaient en Lycien. Ainsi il est probable que le langage usité était différent dans Troie, dans la ville basse, et en Wilusa, dans la ville haute. Ce qui justifiait l’usage de deux noms de cités à cette époque. La conquête des Achéens a sans doute effacé cette particularité et peut avoir fait perdre la différenciation.
Cette approche concilie l’œuvre d’Homère et le texte hittite de Tuthaliya. Elle est cohérente avec le fait qu’au début du 2ème millénaire dans les tablettes des marchands assyriens – connus pour avoir de simple maison dans les villes basses – la cité était désignée « Tahruwa », alors que dans les textes hittites Wilusa a la primauté.
Vers 1400 avant notre ère, Ilios et Troie, deux cités différentes donc, faisaient partie du pays d’Assuwa qui a été défait par le roi hittite Tuthaliya.
Cela va dans le sens des travaux archéologiques de Manfred Korfmann dans les années 1990 : https://luwianstudies.org/the-lower-town-of-troy/
Un courrier de Manapa-Tarhunta du pays de la rivière Seha au roi hittite Muwattali II, plus tardif, évoque à la fois Wilusa et Lazpa. Il a été diversement interprété. Il montre que ces deux lieux faisaient partie, ou étaient proches du pays de la rivière Seha. En même temps il souligne l’importance du métier de teinturier dans cette région : dès le paléo-assyrien le commerce de la laine a été une ressource principale des villes portuaires de l’ouest de l’Anatolie. Dans les textes de Kanès, Tahruwa, Tismurna et Purushattum apparaissent comme des places d’échanges de laine et d’argent.
Par la suite CTH 76 – le traité entre Alaksandu de Wilusa et Muwatalli II – indique qu’il y avait quatre rois dans le pays d’Arzawa, dont Alaksandu. Une mention particulière de soutien de ce dernier au roi de Mira, Kupanta-Kuranta, montre l’accroissement de deux royaumes de l’Arzawa vers la fin de l’Empire Hittite : ceux de Wilusa et de Mira. Le Louvite était la langue parlée de l’Arzawa.
Tous ces éléments, notamment la présence de deux désignations pour une même ville, montre qu’Ilios / Troie était une cité majeure de l’Anatolie de l’Ouest.
Mes notes de vraisemblance :
Wilusa était Ilios, l’acropole de Troie : 3/5
24 octobre 2023
Age du bronze, Age du fer, Anatolie, Bronze final, Empire des Hittites, Pays de Lukka, Turquie